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Olga, le soleil baisse et le soir nous inclineA gravir côte à côte , et pensifs, la colline.L'automne a fait lever, décor de la saison,Du souvenir en nous l'étrange floraison,Humain froment pétri d'ivraie, humble mélange :La gangue et l'or, l'arbre et le ver, la bête et l'ange.La meule est déjà prête et veut notre moisson.
Nous avons, étourdis par l'épaisse boisson,Aux périls de la chair aventuré notre âme :Ranimons, attentifs, en nos cendres la flamme,Brûlons d'un feu plus pur, aux fêtes de l'espritConvions un amour que les ans ont mûri.Je suis le triste lot devenu ton partage,
Tes pleurs secrets, ta vaine attente et ton courage,
Tes goûts sacrifiés et tes obscurs labeurs,Ta chambre sans parfums et ton jardin sans fleurs.Je te vis replier, sous des souffles hostiles,Sur tes espoirs déçus des ailes inutiles.Aveugle, j'ai laissé s'embrumer ton destin,Ingrat, je ne t'ai pas fait place à mon festin.J'ai laissé ton pied nu s'écorcher à l'épine,Tes doigts saigner, comme ton coeur, à l'églantinePour le commun bonheur cueillie, et d'un banal"Ce n'est rien", en chantant, dissimuler ton mal.L'injustice du "juste", en sa candeur cruelle,N'aura pas éclairé la maison paternelleD'où la hâte, l'humeur brusque, la duretéOnt trop souvent banni la chaude intimité.Pardonne, ô mieux-aimée, à mes inconsciences,A mes fautes, à mes erreurs, à mes silences.Olga, je n'ai pas su dérouler sous tes pasBénis de doux tapis fleuris et je n'ai pasPour parer ta beauté posé le diadèmeRoyal sur tes cheveux, ni tressé le racêmeOdorant pour ceindre ton front, ni su semerSur ton chemin les perles de la joie : aimer,Pourtant c'était cela. S'il est trop tard, si l'heure,Impitoyable, veut qu'en cet état demeure
Ici bas simple ébauche un amour incomplet,En d'autres horizons notre foi se complaît.Ecoute : un chant lointain... Regarde : au bord du mondePoindre un soleil nouveau. Enfin le jour inondeCe qui commence ici pour s'achever ailleursNos échecs, nos combats, nos larmes, nos frayeurs.Viens du suprême Amour exaucer la prièreEt, la main dans la main, entrer dans la lumière.
Théodore Monod
A pied et à chameau
Sables et cailloux, Adrar, février-mars 1948
(Extrait de
Monsieur Monod, Nicolas Vray, Actes Sud)